Le Secrétariat général de la CNCDH appelle les sénatrices et sénateurs à rejeter la généralisation de l'amende forfaitaire délictuelle prévue par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur.

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Mis à jour le 3 octobre 2022

Le 11 octobre, le Sénat débattra du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI). Le Secrétariat général de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) appelle les sénatrices et sénateurs à rejeter la généralisation de l’amende forfaitaire délictuelle (AFD). Celle-ci fragiliserait les garanties fondamentales des justiciables et la cohésion sociale, sans améliorer la réponse pénale.

En tout premier lieu, la CNCDH déplore une fois encore que le gouvernement ait engagé la procédure accélérée sur un texte d’une telle ampleur : l’un des articles de la loi vaut en effet approbation d’un rapport en annexe de plus de 80 pages qui définit les orientations du ministère de l’Intérieur pour les cinq prochaines années.

Dans ce contexte, en raison de délais trop contraints, le secrétariat général de la CNCDH appelle les sénatrices et sénateurs à rejeter les dispositions visant à généraliser l’amende forfaitaire délictuelle qu’elle considère comme particulièrement inquiétantes au regard du respect des droits des justiciables.

Qu’est-ce qu’une amende forfaitaire ?

Une amende forfaitaire est une sanction pénale prononcée par un agent de police en dehors d’un procès. Il n’y a pas de procès, mais l’infraction est inscrite au casier judiciaire. Principalement utilisée à l’origine pour sanctionner les contraventions routières, elle s’est élargie progressivement à d’autres contraventions jusqu’à concerner également des délits : notamment l’usage de stupéfiants, l’occupation illicite de terrain public ou privé, ou l’occupation des halls d’immeuble.

Que prévoit le texte ?

Le projet LOPMI vise à généraliser l’amende forfaitaire délictuelle pour tous les délits passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison. Il peut donc s’agir de délits « mineurs » comme des graffitis sur la voie publique, mais aussi de délits très sensibles telle que la participation sans arme à un attroupement après sommation de se disperser ou l’outrage à agent.

Quels sont les trois motifs d’inquiétude de la CNCDH ?

La généralisation de l’AFD prive les justiciables des garanties fondamentales qu’offre la procédure judiciaire.

L’AFD consiste à déléguer aux agents de police une fonction qui relève en principe de l’autorité judiciaire. Ce faisant, elle prive le justiciable de garanties fondamentales : le respect du contradictoire, l’individualisation de la peine pour tenir compte de la personnalité de l’auteur de l’infraction, de sa situation sociale et économique, le recours à des mesures alternatives par le procureur de la République (rappel à la loi, stage de citoyenneté, obligation de réparer le dommage occasionné par les faits délictueux).

La généralisation de l’AFD engendre un risque d’arbitraire.

L’agent de police est seul à évaluer la situation et l’opportunité d’imposer une AFD. Accorder ce pouvoir aux agents de police expose inévitablement les personnes mises en cause à un risque d’arbitraire. Dans un avis de février 2021 sur les relations entre police et population, la CNCDH pointait déjà le risque de dévoiement de ce pouvoir de verbalisation, d’autant plus préoccupant qu’il laisse « le gendarme ou le policier seul dans l’appréciation des faits constitutifs de l’infraction, engendrant ainsi un risque d’arbitraire ».

Les garanties prévues par le texte ne sont pas suffisantes.

  • Limiter l’AFD à des « faits simples » : dans la mesure où les agents de police sont les seuls à pouvoir apprécier la complexité des faits constatés, cette précision n’apporte aucune garantie.
  • Contester l’amende devant le Procureur. Si, en théorie, le judiciaire est ainsi réintroduit dans la procédure, en pratique, les personnes renoncent le plus souvent à leur droit de recours, notamment pour des raisons financières : pour qu’une réclamation soit jugée recevable, le mis en cause doit consigner un montant égal à celui de l’amende forfaitaire, et si le juge estime que les faits sont établis, il devra prononcer une sanction supérieure au montant de l’amende forfaitaire. Ceci étant particulièrement dissuasif pour les justiciables, tout particulièrement les personnes les plus démunis.



Dans son avis relatif aux rapports entre police et population adopté en février 2021, la CNCDH expliquait, au terme de nombreuses auditions avec des experts, des syndicats de police et des représentants de la société civile, que « la politique de « tolérance zéro » et la culture de la performance sont susceptibles de privilégier la recherche du « petit délit » », et d’orienter l’activité policière dans un sens purement répressif au risque d’aggraver le sentiment de défiance entre la police et une partie de la population. La CNCDH ne peut que regretter que le projet de loi LOPMI creuse ainsi ce sillon, fragilisant davantage les droits fondamentaux des personnes mises en cause et, plus globalement, pour la cohésion sociale.

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