Jeudi 25 avril, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France en raison d’un défaut de prise en charge judiciaire appropriée de trois jeunes filles, âgées de 13, 14 et 16 ans au moment des faits, qui dénonçaient des actes de viols.

29 avril 2025
Mis à jour le 29 avril 2025
Les requêtes
Les trois requérantes ont porté plainte pour viol dont elles ont été victimes alors qu’elles étaient mineures.
A l’issue de la procédure en France, les trois jeunes femmes ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), 8 (droit au respect de la vie privée) et, pour une des requérantes, 14 (interdiction de la discrimination) au motif que :
- Les autorités françaises n’ont pas assuré une protection effective contre le viol ;
- Tant les autorités d’enquête que judiciaires n’ont pas prises en considération de manière adéquate leur vulnérabilité particulière en raison de leur âge.
- Pour l’une d’entre elles, les autorités ont utilisé des propos discriminatoires.
La décision de la cour
La CEDH a décidé de rendre une seule décision pour les trois affaires.
- La Cour rappelle que le consentement doit traduire la libre volonté d'avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte des circonstances environnantes. Et elle déplore qu'à ce jour le code pénal français ne comprend aucune référence expresse au consentement.
- Dans le passé, la CEDH a déjà eu l’occasion de préciser que « les obligations positives qui pèsent sur les États en vertu des articles 3 et 8 de la Convention comportent l’obligation d’adopter des dispositions pénales incriminant et réprimant de manière effective tout acte sexuel non consenti ».
- La Cour considère que par la manière dont les investigations ont été conduites, par la longueur de la procédure, par les questions qui ont été posées aux victimes, par le déroulé des audiences, les autorités ont fait subir aux victimes une violence supplémentaire, qui caractérise la victimisation secondaire.
Les autorités policières et judiciaires ont porté atteinte à la dignité des victimes ; elles n'ont pas dûment analysé ni les circonstances des agressions ni l'absence de consentement des victimes, ni pris en compte leur vulnérabilité particulière pour caractériser les actes
La Cour considère donc que la France a violé les articles 3 et 8 de la Convention. - Dans une des affaires la Cour considère qu’en outre, les services d’enquêtes et les magistrats ont reproduit des stéréotypes sexistes, et ainsi violé l’article 14 combiné avec les articles 3 et 8 précités en raison de la victimisation secondaire et du traitement discriminatoire subis par la requérante.
L’importance de cette décision
Cette décision de la Cour européenne des droits de l’homme marque une étape majeure pour le traitement judiciaire des violences sexuelles et sexistes en France.
- Pour la première fois, pour la France, la CEDH pointe la victimisation secondaire dont ont été victimes les plaignantes. Elle alerte ainsi sur l’impératif, pour les autorités d’enquête et judiciaires, de ne pas ajouter de la violence institutionnelle à la violence subie par les victimes d’agressions sexuelles et sexistes.
- La CEDH pointe aussi le fait que le droit français n’est toujours pas conforme aux standards internationaux concernant la définition du viol, sa définition très restrictive ne faisant pas de référence explicite au consentement.
La Cour européenne engage ainsi la France à suivre le chemin de nombreux pays beaucoup plus attentifs aux droits des filles et des femmes et qui ont déjà opéré ce changement de paradigme.
Tierce intervention de la CNCDH
En octobre 2023, la CNCDH a transmis ses observations CEDH. Dans sa tierce intervention, la CNCDH a insisté sur l’écart considérable qui existe dans notre pays entre les viols commis et les condamnations. L’une des raisons réside en partie dans le libellé de
l’infraction, articulé autour des notions de violence, contrainte, menace ou surprise. La CNCDH a rappelé à la CEDH la teneur du
droit international en la matière, davantage axée sur une attention portée à l’absence de consentement pour définir le viol. La Commission a d’ailleurs souligné qu’un nombre croissant d’États européens avaient fait évoluer leur législation en ce sens.
Les enjeux de l’exécution de l’arrêt de la Cour européenne
Pour se conformer à l’arrêt européen qui est obligatoire,
- Le ministre de la Justice devra adopter et diffuser une circulaire de politique pénale pour améliorer les pratiques judiciaires dans le traitement des plaintes pour viol, en particulier concernant l'analyse de l’effet de toutes les circonstances environnantes la prise en compte, dans leur appréciation du discernement et du consentement des victimes, de la situation de particulière
vulnérabilité dans laquelle elles peuvent se trouver, notamment si elles sont mineures ; - Les magistrats et les enquêteurs devront être mieux formés pour mieux protéger les victimes, en particulier les plus vulnérables.
De surcroit, à la lecture de ces arrêts, la CNCDH invite la France à suivre le chemin emprunté déjà par de nombreux pays beaucoup plus attentifs aux droits des filles et des femmes et qui ont opéré un changement de paradigme en plaçant le défaut de consentement libre et éclairé au cœur de la définition pénale du viol.
29 avril 2025