Mercredi 12 février, la CNCDH, la Contrôleur Général Des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) et les députés Elsa Faucillon et Ugo Bernalicis ont co-organisé un séminaire sur la régulation carcérale à l’Assemblée nationale.

26 février 2025
Mis à jour le 26 février 2025
Pourquoi cet événement ? L’urgence de lutter contre la surpopulation carcérale
La CNCDH, la CGLPL, Elsa Faucillon et Ugo Bernalicis ont organisé un séminaire dans l’objectif de :
- réaffirmer l’urgence de mettre en place un mécanisme de régulation carcérale pour lutter contre la surpopulation carcérale endémique en France ;
- relayer les recommandations concrètes formulées par les deux institutions pour mettre en place ce mécanisme ;
- contribuer à inscrire à l’agenda de l’Assemblée nationale le débat sur les deux propositions de loi déposées par les deux députés.
Le nombre de personnes ayant répondu à l’invitation des organisateurs et la diversité des acteurs représentés (associations, professionnels du droit, administrations) attestent d’une part de l’importance de sujet et d’autre part de la convergence des positions de tous les acteurs en faveur de la régulation carcérale.
Des chiffres
- Au 1er janvier 2025, la France comptait plus de 80 000 détenus (pour 62.000 places)
- Plus de 4 410 dorment sur des matelas au sol, dans des conditions de détention indignes,.
- 157 %, c’est le taux d’occupation moyen des maisons d’arrêt dans lesquelles sont enfermés les deux tiers des personnes détenues.
Ce taux pourrait atteindre 164% en 2025, selon les prévisions de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP).
Messages clés partagés
L’évènement a été introduit par Elsa Faucillon et Ugo Bernalicis, qui ont souligné que, malgré un large consensus parmi les professionnels du droit et les nombreuses recommandations des instances internationales en ce sens, la régulation carcérale peine à trouver un écho politique, et fait même l’objet d’un rejet de la part du gouvernement.
La CNCDH et la CGLPL ont rappelé :
- la nécessité d’une régulation carcérale et d’une réduction préalable de la population carcérale ;
- l’inefficacité de la construction de nouvelles places de prisons pour résoudre la surpopulation carcérale;
- leur proposition de mécanismes de régulation contraignants (conversion de peine, libération sous contrainte, aménagement de fin de peine, l'amnistie…).
Dominique Simonnot, CGLPL, a souligné le consensus général parmi les professionnels, dans de nombreux milieux, sur la nécessité d’une régulation carcérale. Elle a par ailleurs insisté sur l’impératif, comme préalable à la mise en place d’un mécanisme de régulation à une réforme en profondeur, de réduire la population carcérale.
Magali Lafourcade, secrétaire générale de la CNCDH, a rappelé les condamnations de la France par la CEDH et les rappels à l’ordre par le Conseil de l’Europe et les Nations Unies sur les conditions de détention.
Eléments clés des avis de la CNCDH et du CGLPL
Avis de la CNCDH de mai 2024
Présenté par Prune Missoffe et Renée Koering-Joulin, co-rapporteures de l’avis.
En mai 2024, la CNCDH a rendu un avis dans lequel elle a réaffirmé la nécessité et l’urgence de mettre en place un mécanisme de régulation carcérale contraignant pour que cessent les atteintes à la dignité et aux droits des personnes détenues mais aussi pour que les conditions de travail des personnels pénitentiaires s’améliorent.
Dans cet avis, la CNCDH constatait notamment que les politiques pénales plus de plus en plus répressives avaient favorisé l’augmentation des entrées en détention alors que les mesures pouvant agir sur les sorties étaient insuffisamment appliquées.
La CNCDH a détaillé comment un mécanisme de régulation pouvait être mis en place, en s’appuyant sur les dispositifs existants et en les ajustant comme la conversion de peine, la libération sous contrainte, les aménagements de fin de peine ou les crédits de réduction de peine ou encore la grâce collective ou l'amnistie.
Avis du CGLPL de septembre 2023
Présenté par André Ferragne, secrétaire général du CGLPL
Il a rappelé que la problématique de la surpopulation carcérale n’est pas récente – et la lutte contre la surpopulation carcérale une recommandation pressante et ancienne du CGLPL : si le nombre de places de prison a considérablement crû depuis 1984, le nombre de personnes détenues aussi. Malgré différentes mesures, la situation ne s’améliore pas, et la récente loi de programmation de la justice a paradoxalement contribué à aggraver le phénomène.
Il a insisté sur le fait que cette surpopulation endémique questionne les objectifs mêmes de l’incarcération, en particulier s’agissant de l’exécution des peines et la réinsertion, le personnel pénitentiaire ne pouvant pas exercer correctement ses fonctions dans de telles conditions.
Expertises complémentaires
Le Conseil National des Barreaux (CNB) soutient la mise en place d’un mécanisme contraignant de régulation de la surpopulation carcérale, placé sous l’autorité du Juge de l’Application des Peines (JAP) plutôt que sous celle du Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation (SPIP). Ce dispositif concernerait tous les détenus, sauf certains cas spécifiques liés à la nature des crimes, et permettrait une réduction de peine pour ceux condamnés à moins de cinq ans ou ayant un reliquat de peine inférieur à un an.
L’application du dispositif se ferait en deux étapes :
- Une période transitoire permettant de réduire progressivement la surpopulation carcérale jusqu’à atteindre un taux d’occupation de 100% ;
- La mise en place définitive du mécanisme de régulation.
Le Comité Européen pour la Prévention de la Torture (CPT) du Conseil de l’Europe, représenté par Julien Attuil, chef de division au secrétariat du CPT, a rappelé que, dans son dernier rapport sur la France publié en 2019, le comité alertait déjà les autorités françaises sur l’urgence d’adopter “une stratégie globale destinée à réduire la population carcérale, y compris des mesures pour limiter le nombre de privation de liberté et faciliter les aménagements de peines.” et proposait des mesures pour remédier à la situation (une grâce présidentielle, la construction de nouvelles prisons, une politique pénale axée sur la régulation carcérale, la création d’un système d’alerte à 90% de taux d’occupation, l’introduction d’un mécanisme de régulation reposant sur les normes existantes).
Les dernières statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (SPACE) publiées en 2023 montrent que la densité carcérale en France est largement supérieure à la moyenne européenne : 119% contre 88%. (à noter que le prochain rapport du CPT sur la France, à la suite de leur visite périodique conduite en 2024, sera rendu public courant 2025).
Julia Schmitz, maître de conférences à l’Université Toulouse Capitole, a elle aussi mis en lumière la situation critique du système pénitentiaire français, en ce qui concerne le respect des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle a souligné que l’approche partagée dans le débat public reste déséquilibrée à aujourd’hui, se concentrant sur les sorties anticipées, sans prendre assez en compte la gestion du flux d'entrées en prison, insistant sur la nécessité de réformer la formation des magistrats afin de les sensibiliser aux réalités carcérales et de les encourager à privilégier des peines alternatives. Il est nécessaire de faire face à l’urgence, proposer des mesures exceptionnelles telles qu’une amnistie comme solution à court terme.
La session de questions/réponses a été l’occasion de revenir sur les alternatives à l’incarcération, les conditions de détention des femmes, les enjeux de coordination entre les magistrats et l’administration pénitentiaire, l’amélioration des dispositifs d’accompagnement en milieu ouvert, la nécessité de poursuivre le dialogue sur la régulation carcérale entre tous les acteurs, et de contribuer ainsi à l’inscrire à l’agenda politique, objectivement, au-delà des récupérations par certaines personnalités politiques et médias d’opinion. Au-delà du nombre de personnes incarcérées, c’est le sens de la peine exécutée dans de telles conditions qui a été interrogé par l’ensemble des intervenants et participants.
La CNCDH se réjouit du succès de cet événement qui instaure une dynamique indispensable, souhaitée par tous les acteurs, afin que des parlementaires soient sensibilisés à l’urgence de soutenir la mise en place, dans la loi, d’un mécanisme de régulation carcérale contraignant pour remédier à la surpopulation carcérale.
26 février 2025